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Victoire ?

 

 

Les hommes des Dix-Cités, soutenus par leurs alliés nains et barbares, s’étaient frayé un chemin à la pointe de l’épée depuis tous les côtés du vaste champ et se tenaient maintenant tous ensemble devant la porte nord de Bryn Shander.

Et tandis que leur armée venait d’exécuter une manœuvre de combat parfaitement synchronisée, tous les opposants d’hier réunis aujourd’hui dans l’intention commune de survivre, l’effet inverse se produisit au sein de l’armée de Kessell. Quand les gobelins avaient chargé sur Valbise au départ, leur objectif commun était de vaincre pour la gloire d’Akar Kessell. Mais Kessell était mort et Cryshal-Tirith détruite, et le lien qui avait maintenu l’alliance entre les tribus rivales d’orques et de gobelins, ennemis acharnés depuis une éternité, avait commencé à se défaire.

Les humains et les nains regardèrent la masse de leur envahisseur avec un espoir renaissant, car, partout à la périphérie de la vaste armée, des formes noires continuaient de quitter les rangs pour s’enfuir du champ de bataille vers la toundra.

Pourtant, les défenseurs des Dix-Cités étaient dos à la muraille des Dix-Cités et cernés sur trois de leurs flancs. À cet instant, les monstres n’avaient entamé aucune manœuvre d’attaque, mais des milliers de gobelins restaient en position sur les champs au nord de la cité.

Plus tôt dans la bataille, quand l’attaque initiale avait pris les envahisseurs par surprise, les chefs des armées défensives en présence auraient considéré une telle trêve comme un désastre tactique, qui aurait brisé leur élan et permis à leurs ennemis stupéfaits de se regrouper dans des positions plus favorables.

Mais à présent, cette accalmie était un bienfait pour les deux parties : elle accordait aux soldats un repos désespérément nécessaire et permettait aux gobelins et aux orques de se remettre totalement de la raclée qu’ils venaient de prendre.

Le champ sur le flanc de la ville était jonché de cadavres, ceux des gobelins étant bien plus nombreux que ceux des humains, et l’amas de gravats qui avait été Cryshal-Tirith ne faisait qu’exacerber la perception qu’avaient les monstres de leurs pertes prodigieuses.

Il ne restait ni géant, ni ogre pour soutenir leurs rangs éclaircis, et à chaque seconde qui passait d’autres de leurs alliés désertaient.

Cassius eut le temps d’appeler tous les porte-parole survivants à ses côtés pour un bref conseil.

Non loin de là, Wulfgar et Revjak étaient en réunion avec Gardefeu Mailot, le chef attitré de l’armée des nains en l’absence de Bruenor.

— Nous sommes heureux d’ton r’tour, puissant Wulfgar, dit Gardefeu. Bruenor savait qu’tu r’viendrais.

Wulfgar reporta son regard sur le champ, à la recherche d’un signe indiquant que Bruenor était toujours là-bas à balancer sa hache.

— Avez-vous la moindre nouvelle de Bruenor ?

— C’est toi l’dernier à l’avoir vu, répondit Gardefeu d’un air grave. Ils restèrent alors silencieux, scrutant le champ.

— Laisse-moi entendre de nouveau le tintement de ta hache, chuchota Wulfgar.

Mais Bruenor ne pouvait pas l’entendre.

 

***

 

— Jensin, demanda Cassius au porte-parole de Caer-Dineval, où sont vos femmes et vos enfants ? Sont-ils en sécurité ?

— Ils sont à l’abri à Havre-du-Levant pour l’instant, répondit Jensin Brent, et ont été rejoints par la population de Bon-Hydromel et de la Brèche de Dougan. Ils ont des vivres en abondance et des guetteurs. Si les maudites raclures de Kessell se dirigent vers la ville, ses occupants devraient être avertis du danger suffisamment longtemps à l’avance pour avoir le temps de se réfugier sur le lac Dinneshere.

— Mais combien de temps pourraient-ils survivre sur les eaux ? demanda Cassius.

Jensin Brent eut un haussement d’épaules évasif.

— Jusqu’à l’arrivée de l’hiver, j’imagine. Ils devraient toujours pouvoir accoster quelque part, car les gobelins et les orques restants ne pourraient même pas couvrir la moitié de la côte du lac.

Cassius sembla satisfait. Il se tourna vers Kemp.

— Bois Isolé, répondit Kemp avant que Cassius lui pose la même question. Et je parierais qu’ils sont en meilleure posture que nous ! Ils ont suffisamment de bateaux à quai là-bas pour fonder une cité au beau milieu de Maer Dualdon.

— C’est bien, leur dit Cassius. Cela nous ouvre une autre option. Nous pourrions peut-être tenir nos positions ici quelque temps, avant de battre en retraite derrière les murs de la ville. Les gobelins et les orques, malgré leur supériorité en nombre, ne peuvent pas espérer nous y vaincre !

L’idée sembla plaire à Jensin Brent, mais Kemp se renfrogna.

— Nos populations seront donc suffisamment à l’abri, dit-il, mais qu’en est-il des barbares ?

— Leurs femmes sont robustes et capables de survivre sans eux, répondit Cassius.

— Je me moque royalement de leurs femmes à l’odeur nauséabonde, fulmina Kemp (parlant intentionnellement plus fort pour que Wulfgar et Revjak, eux aussi en plein conseil non loin de là, puissent l’entendre). C’est de ces chiens sauvages eux-mêmes dont je te parle ! Tu ne vas certainement pas leur ouvrir grand tes portes et les inviter à entrer !

Le fier Wulfgar avança vers les porte-parole.

Cassius se retourna vers Kemp avec colère.

— Âne bâté cabochard ! chuchota-t-il sévèrement. Notre seul espoir, c’est notre union !

— Notre seul espoir, c’est d’attaquer ! rétorqua Kemp. Nous leur avons fichu une frousse d’enfer, et tu nous demandes de courir nous cacher !

L’immense roi barbare arriva devant les deux porte-parole, les surplombant de toute sa hauteur.

— Salutations, Cassius de Bryn Shander, dit-il poliment. Je suis Wulfgar, fils de Beornegar, et le chef des tribus qui se sont jointes à votre noble cause.

— Que pourrait donc savoir ton espèce de la noblesse ? interrompit Kemp.

Wulfgar l’ignora.

— J’ai entendu une grande partie de votre discussion, continua-t-il, imperturbable. Mon avis est que votre conseiller grossier et ingrat (il marqua une pause pour garder son calme) a suggéré la seule solution possible.

Cassius, qui s’attendait que Wulfgar soit furieux des insultes de Kemp, fut d’abord perplexe.

— Il faut attaquer, expliqua Wulfgar. Les gobelins sont pour l’instant incertains des profits qu’ils peuvent espérer. Ils se demandent pourquoi ils ont suivi ce sorcier maléfique jusqu’à cet endroit funeste. Si nous les laissons retrouver leur soif de bataille, ils se révéleront être des ennemis encore plus redoutables.

— Je te remercie de tes paroles, roi barbare, répondit Cassius. Mais mon avis est que ces fripouilles ne seront pas capables de tenir un siège. Ils quitteront les champs avant qu’une dizaine soit passée.

— Peut-être, dit Wulfgar. Mais ton peuple le paierait très cher. Les gobelins, s’ils partaient de leur propre chef, ne reviendraient pas à leur tanière les mains vides. Il y a toujours plusieurs cités sans protection qu’ils pourraient frapper sur leur route en quittant Valbise.

» Et pis encore, ils ne partiraient pas alors avec les yeux emplis de frayeur. Votre retraite sauverait la vie de beaucoup de vos hommes, Cassius, mais elle ne préviendrait pas le retour de vos ennemis à l’avenir !

— Alors, tu penses toi aussi que nous devrions attaquer ? demanda Cassius.

— Nos ennemis en sont venus à nous craindre. Ils regardent autour d’eux, et ils voient la ruine que nous avons abattue sur leurs rangs. La peur est un outil puissant, particulièrement contre des gobelins couards. Allons donc jusqu’au bout, comme l’a fait ton peuple envers le mien cinq ans auparavant… (Cassius perçut de la douleur dans les yeux de Wulfgar tandis qu’il se rappelait ces événements.) Provoquons donc la débandade de ces bêtes infectes jusqu’à leurs trous dans la montagne ! Il se passera de nombreuses années avant qu’ils se hasardent à frapper vos villes de nouveau.

Cassius regarda le jeune barbare avec un profond respect, ainsi qu’une vive curiosité. Il pouvait à peine croire que ces fiers guerriers de la toundra, qui se souvenaient avec acuité du massacre que leur avaient infligé les habitants des Dix-Cités, étaient venus en aide aux communautés de pêcheurs.

— Mon peuple a effectivement mis le tien en déroute, noble roi. Avec brutalité. Pourquoi, donc, venir nous aider ?

— C’est une question dont nous devrions discuter après avoir accompli notre tâche, répondit Wulfgar. Et maintenant, chantons ! Répandons la terreur dans les cœurs de nos ennemis et brisons-les !

Il se retourna vers Revjak et certains de ses autres chefs.

— Chantez, fiers guerriers ! ordonna-t-il. Que le Chant de Tempus annonce la mort des gobelins !

Une acclamation stimulante s’éleva partout dans les rangs des barbares, et leurs voix montèrent fièrement vers leur dieu de la guerre.

Cassius remarqua l’effet immédiat que le chant avait sur les monstres les plus proches. Ils reculèrent d’un pas et raffermirent leur prise sur leurs armes.

Un sourire passa sur le visage du porte-parole. Il ne parvenait toujours pas à comprendre la présence des barbares, mais les explications devraient attendre.

— Joignez-vous à nos alliés barbares ! cria-t-il à ses soldats. Aujourd’hui est un jour de victoire !

Les nains avaient entamé le chant de guerre sinistre de leur ancienne terre natale. Les pêcheurs des Dix-Cités entonnèrent eux aussi les paroles du Chant de Tempus, au début avec timidité, jusqu’à ce que ses inflexions et son accent étrangers sortent naturellement de leur bouche. Alors, ils se joignirent pleinement au chant, proclamant la gloire de chacune de leurs villes comme les barbares le faisaient de leurs tribus. Le tempo s’accéléra, son volume s’éleva dans un crescendo puissant. Les gobelins tremblaient devant la frénésie grandissante de leurs ennemis mortels. Le flot de déserteurs qui se déversait de la périphérie du gros de leur armée ne cessait d’enfler.

Et alors, comme une vague meurtrière, les humains et leurs alliés nains chargèrent vers le bas de la colline.

 

***

 

Drizzt avait pu grimper suffisamment loin de la face sud pour échapper à la furie de l’avalanche, mais il se trouvait toujours dans une situation délicate. Le Cairn de Kelvin n’était pas une montagne très haute, mais son tiers supérieur était perpétuellement recouvert d’une neige épaisse et brutalement exposé au vent glacé qui avait donné son nom à la région.

Encore pire pour le drow, ses pieds avaient été mouillés dans la neige fondue par Crenshinibon, et à présent l’humidité qui couvrait sa peau se transformait en glace, et se mouvoir dans la neige était une réelle souffrance.

Il se résolut à avancer lentement mais sûrement, se dirigeant vers la face ouest qui offrait une meilleure protection contre le vent. Ses mouvements étaient violents et exagérés, dépensant toute l’énergie possible pour maintenir la circulation dans ses veines. Quand il atteignit la crête de la cime de la montagne et qu’il commença à descendre, il dut se déplacer avec plus de circonspection, craignant que tout mouvement brusque l’entraîne vers le même destin que celui d’Akar Kessell.

Ses jambes étaient complètement engourdies à présent, pourtant il continuait de les faire fonctionner, presque obligé de forcer ses réflexes.

C’est alors qu’il glissa.

 

***

 

Les guerriers féroces de Wulfgar enfoncèrent la première ligne de gobelins, les repoussant et les tailladant. Aucun gobelin ni aucun orque n’osait faire face à leur puissant roi, mais dans la confusion de la bataille surpeuplée, peu parvinrent à éviter de se retrouver sur son chemin. L’un après l’autre, ils tombaient à terre.

La peur avait presque paralysé les gobelins, et leur légère hésitation avait eu raison des premiers groupes qui affrontèrent les barbares.

Finalement, pourtant, la chute de l’armée vint des rangs plus éloignés. Les tribus qui ne s’étaient pas encore engagées dans le combat commencèrent à remettre en question la sagesse de poursuivre cette campagne, s’apercevant qu’ils avaient déjà suffisamment pris l’avantage sur leurs habituels rivaux, affaiblis par de lourdes pertes, pour étendre leur territoire sur leur terre natale, l’Épine dorsale du Monde. Peu de temps après que la seconde bataille eut commencé à se déchaîner, le nuage de poussière des pieds martelant le sentier s’éleva de nouveau au-dessus de Colbise : des dizaines d’orques et de gobelins rentraient chez eux.

Et l’effet de ces désertions de masse sur les gobelins engagés dans la bataille fut dévastateur. Même les gobelins les plus obtus comprenaient que leur seule chance de remporter la victoire contre les défenseurs acharnés des Dix-Cités était le poids écrasant de leur surnombre.

Les bruits sourds de Crocs de l’égide retentirent à de nombreuses reprises comme Wulfgar se taillait un chemin, dévastant tout devant lui dans sa charge solitaire. Même les hommes des Dix-Cités se tenaient à l’écart, troublés par sa force sauvage. Mais les siens le regardaient avec admiration, et faisaient de leur mieux pour suivre son exemple glorieux.

Wulfgar passa à l’attaque sur un groupe d’orques. Crocs de l’égide s’abattit sur l’un d’eux, le tuant tout en renversant au sol ceux qui se trouvaient derrière. Suivant l’élan du marteau, Wulfgar répéta la manœuvre dans l’autre sens, ce qui produisit les mêmes effets sur son autre flanc. D’une seule frappe, plus de la moitié des orques du groupe se retrouvèrent morts ou étendus à terre, assommés.

Ceux qui en avaient réchappé n’avaient nul désir d’attaquer le puissant humain.

Glensather de Havre-du-Levant passa lui aussi à l’attaque sur un groupe de gobelins, espérant inspirer à son peuple la même ferveur que son homologue barbare. Mais Glensather n’était pas un géant imposant comme Wulfgar, et son arme n’était pas aussi puissante que Crocs de l’égide. Son épée abattit le premier gobelin qu’il rencontra, puis tournoya avec aisance et en fit tomber un deuxième. Le porte-parole s’en était bien sorti, mais il manquait un élément à son attaque – le facteur crucial qui avait élevé Wulfgar au-dessus des autres. Glensather avait tué deux gobelins, mais il n’avait pas semé dans leurs rangs la panique qu’il avait espérée. Au lieu de s’enfuir, comme ils l’avaient fait devant Wulfgar, les gobelins restants avancèrent sur lui.

Glensather venait d’arriver à côté du roi barbare quand la pointe cruelle d’une lance se planta dans son dos et le transperça, ressortant par sa poitrine.

Témoin de l’atroce spectacle, Wulfgar balança Crocs de l’égide au-dessus du porte-parole, enfonçant la tête du gobelin qui tenait la lance à l’intérieur de son torse. Glensather entendit le marteau atteindre sa cible derrière lui et parvint même à remercier le barbare d’un sourire avant de choir sur l’herbe, mort.

Les nains avaient une technique différente de celle de leurs alliés. Ayant repris leur formation serrée et solidaire, ils fauchaient les gobelins par rangs entiers. Et les pêcheurs, qui combattaient pour la vie de leurs femmes et de leurs enfants, luttaient et mouraient sans frayeur.

En moins d’une heure, chaque groupe de gobelins avait été écrasé, et une demi-heure après, le dernier des monstres tomba mort sur le champ inondé de sang.

 

***

 

Drizzt glissa sur la blanche vague de neige qui dégringolait sur le flanc de la montagne. Il chutait sans pouvoir rien y faire, tentant de se retenir chaque fois qu’il voyait le bord saillant d’un gros rocher sur sa trajectoire. Comme il arrivait à la base de la couche neigeuse, il fut projeté hors de l’avalanche et rebondit parmi les rochers gris et les amas rocheux, comme si les pics fiers et imprenables de la montagne avaient recraché l’intrus.

Il fut sauvé par son agilité – et par une bonne dose de chance pure. Quand il parvint enfin à stopper son élan et à trouver un point d’appui, il s’aperçut que ses nombreuses blessures étaient superficielles, les pires d’entre elles étant une éraflure sur le genou, son nez ensanglanté et une entorse au poignet. Rétrospectivement, Drizzt devait bien considérer la petite avalanche comme une bénédiction, car elle lui avait permis de descendre du haut de la montagne en un rien de temps, et il n’était même pas sûr qu’il aurait pu échapper au destin glacial de Kessell sans elle.

La bataille au sud avait repris à ce moment-là. En entendant les bruits du combat, Drizzt observa avec curiosité des milliers de gobelins passer devant lui de l’autre côté de la vallée des nains, remontant Colbise en courant dans la première phase de leur long voyage de retour vers leur terre natale. Le drow n’avait aucun moyen de savoir exactement ce qui s’était passé, mais il connaissait la légendaire couardise des gobelins.

Il n’y réfléchit pas bien longtemps, cependant, car la bataille n’était plus sa première préoccupation. Sa vision était concentrée sur un point précis, le monticule de pierres ouvragées, noires et brisées qui avait été Cryshal-Tirith. Il arriva en bas du Cairn de Kelvin et descendit le Plateau de Bremen vers les décombres.

Il devait découvrir si Régis ou Guenhwyvar avaient pu s’échapper.

 

***

 

La victoire.

C’était un piètre réconfort pour Cassius, Kemp et Jensin Brent tandis qu’ils contemplaient le carnage qui les entourait sur le champ dévasté. Ils étaient les trois seuls porte-parole à avoir survécu à la lutte ; les sept autres avaient été abattus.

— Nous avons gagné, déclara Cassius d’un air grave.

Impuissant, il regardait mourir d’autres soldats, des hommes à qui des blessures mortelles avaient été infligées plus tôt dans la bataille, mais qui avaient refusé de tomber et de mourir avant que tout soit fini. Plus de la moitié des habitants des Dix-Cités étaient étendus morts, et de nombreux autres allaient suivre, car presque la moitié des survivants avaient été grièvement blessés. Quatre villes avaient été réduites en cendres et une autre pillée et mise en pièces par ses occupants gobelins.

Leur victoire leur avait coûté terriblement cher. Les barbares, eux aussi, avaient été décimés. La plupart jeunes et inexpérimentés, ils s’étaient battus avec la ténacité qu’on leur avait inculquée et ils avaient accepté leur mort comme étant la conclusion glorieuse du récit de leur vie. Seuls les nains, disciplinés par de nombreuses batailles, s’en étaient à peu près sortis indemnes. Plusieurs avaient été tués, quelques autres blessés, mais la plupart étaient plus que prêts à reprendre la bataille si seulement ils pouvaient trouver encore d’autres gobelins à fracasser ! Leur unique grande désolation, cependant, était le fait que Bruenor soit porté disparu.

— Retournez vers votre peuple, dit Cassius à ses confrères porte-parole. Puis revenez ce soir, pour le conseil. Kemp parlera au nom des populations des quatre villes sur Maer Dualdon, Jensin Brent pour ceux des autres lacs.

— Nous avons beaucoup à décider et peu de temps pour le faire, dit Jensin Brent. L’hiver se rapproche à grands pas.

— Nous survivrons ! déclara Kemp avec l’attitude de défi qui le caractérisait. (Mais il prit alors conscience des regards maussades que ses pairs posaient sur lui, s’inclina devant leur réalisme en ajoutant :) Même si la lutte sera rude.

— Ce sera également le cas pour mon peuple, dit une autre voix. Les trois porte-parole se retournèrent pour voir le géant Wulfgar sortir à grands pas de la scène de carnage poussiéreuse et surréaliste. Le barbare était recouvert d’une couche de crasse et éclaboussé du sang de ses ennemis, mais sa noblesse royale perçait au travers.

— Je demande à être invité à votre conseil, Cassius. Il y a beaucoup de choses que nos peuples peuvent faire les uns pour les autres dans ces temps difficiles.

Kemp grogna :

— Si nous avons besoin de bêtes encombrantes, nous achèterons des bœufs.

Cassius fusilla Kemp du regard et s’adressa à son allié inattendu.

— Tu peux effectivement te joindre au conseil, Wulfgar, fils de Beornegar. Pour l’aide que tu nous as apportée aujourd’hui, mon peuple te doit beaucoup. De nouveau, je te le demande, pourquoi être venu ?

Pour la seconde fois de la journée, Wulfgar ignora les insultes de Kemp.

— Pour m’acquitter d’une dette, répondit-il à Cassius. Et peut-être pour améliorer la vie et de ton peuple et du mien.

— En tuant des gobelins ? demanda Jensin Brent, suspectant que le barbare avait d’autres idées en tête.

— C’est un début, répondit Wulfgar. Mais nous pouvons accomplir bien plus. Mon peuple connaît mieux la toundra que les yetis eux-mêmes. Nous comprenons ses usages et savons comment y survivre. Notre amitié serait profitable à votre peuple, particulièrement dans les temps difficiles qui s’annoncent pour vous.

— Bah ! grogna Kemp, mais Cassius le fit taire.

Le porte-parole de Bryn Shander était intrigué par ces perspectives.

— Et que gagnerait votre peuple d’une telle alliance ?

— Un contact, répondit Wulfgar. Un lien avec un monde d’une opulence que nous n’avons jamais connue. Les tribus ont le trésor d’un dragon entre leurs mains, mais l’or et les pierres précieuses ne réchauffent pas durant les nuits d’hiver, ni ne nourrissent quand les vivres se font rares.

» Ton peuple a beaucoup à reconstruire. Mon peuple possède la richesse nécessaire pour vous assister dans cette tâche. En échange, les Dix-Cités aideront mon peuple à accéder à un meilleur niveau de vie ! (Cassius et Jensin Brent eurent un hochement de tête approbateur comme Wulfgar leur exposait ses desseins.)

» Finalement, et c’est peut-être le plus important, conclut le barbare, il est indéniable que nous avons besoin les uns des autres, du moins pour l’instant. Nos deux peuples ont été affaiblis et sont vulnérables aux dangers de ces contrées. En mettant en commun la force qui nous reste, nous passerons l’hiver.

— Tu m’intrigues et tu me surprends, dit Cassius. Assiste au conseil, alors, et sois le bienvenu, du moins pour ma part. Mettons en place un plan qui profitera à tous ceux qui ont survécu à la lutte contre Akar Kessell !

Comme Cassius se détournait, Wulfgar attrapa la chemise de Kemp de l’une de ses énormes mains et souleva facilement le porte-parole de Targos au-dessus du sol. Kemp martela l’avant-bras musclé, mais il comprit vite qu’il n’avait aucune chance de faire lâcher prise à la poigne de fer du barbare.

Wulfgar le fusilla du regard.

— À présent, dit-il, je suis responsable de l’ensemble de mon peuple, ce pour quoi je n’ai pas tenu compte de tes insultes. Mais quand le jour viendra où je ne serai plus roi, tu ferais bien de ne plus jamais croiser mon chemin !

D’un petit coup de poignet, il jeta le porte-parole par terre.

Kemp, trop intimidé pour l’instant pour être en colère ou embarrassé, resta assis là où il avait atterri et ne répondit rien. Cassius et Brent se poussèrent du coude et échangèrent un gloussement discret.

Cela dura jusqu’à ce que la jeune fille approche, son bras dans une écharpe sanglante, son visage et ses cheveux auburn recouverts d’une couche de poussière. Wulfgar la vit lui aussi, et la vue de ses blessures l’affligea plus encore que le pourraient les siennes.

— Catti-Brie ! cria-t-il en se ruant vers elle. Elle l’apaisa de sa main déployée.

— Je ne suis pas gravement touchée, assura-t-elle stoïquement à Wulfgar (quoiqu’il soit évident pour le barbare qu’elle avait été cruellement blessée.) Bien que je n’ose songer à ce qui serait advenu de moi si Bruenor n’était pas arrivé !

— Tu as vu Bruenor ?

— Dans les tunnels, expliqua Catti-Brie. Des orques ont réussi à pénétrer à l’intérieur – j’aurais peut-être dû les faire s’écrouler. Mais ils n’étaient pas très nombreux, et je pouvais entendre qu’au-dessus les nains s’en sortaient bien sur le champ.

» Bruenor est arrivé à ce moment-là, mais il y avait encore plus d’orques derrière lui. Une poutre de soutènement a lâché ; je crois que c’est Bruenor qui l’a fait tomber, et il y avait trop de poussière et de confusion.

— Et Bruenor ? demanda anxieusement Wulfgar.

Catti-Brie regarda de l’autre côté du champ.

— Là-bas. Il a demandé à te voir.

 

***

 

Le temps que Drizzt atteigne les décombres qui avaient été Cryshal-Tirith, la bataille était terminée. La vue de ses horreurs le retournait complètement, mais son objectif restait inchangé. Il commença à escalader le flanc de l’amas de pierres brisées.

En vérité, le drow se trouvait idiot de se lancer dans une cause si désespérée. Même en admettant que Régis et Guenhwyvar ne soient pas sortis de la tour, comment pouvait-il raisonnablement espérer les retrouver ?

Il continua avec obstination, refusant d’écouter la logique implacable qui le tourmentait. C’était là qu’il était différent de son peuple, c’était ce qui, au final, l’avait entraîné loin de l’obscurité perpétuelle de leurs grandes cités. Drizzt Do’Urden ne s’interdisait pas de ressentir de la compassion.

Il grimpa sur le flanc des gravats et commença à creuser à main nue au milieu des débris. Des blocs plus importants l’empêchaient de fouiller très profondément dans la masse, mais il ne se décourageait pas, explorant même des fissures précaires, étroites et instables. Il utilisait peu sa main gauche brûlée, et bientôt sa main droite saigna à force d’être raclée. Mais il continua, d’abord en se déplaçant autour de l’amas de décombres, puis en l’escaladant.

Il fut récompensé de sa persévérance. Quand il atteignit le sommet des ruines, il sentit une aura de pouvoir magique familière, qui le guida jusqu’à une petite fissure entre deux pierres. Il glissa la main à l’intérieur avec circonspection, espérant trouver l’objet intact, et en sortit la petite figurine féline. Ses doigts tremblaient tandis qu’il l’examinait pour voir si elle était endommagée. Ce n’était pas le cas – la magie de l’objet avait résisté au poids des décombres.

Les sentiments du drow devant sa découverte étaient mitigés, pourtant. Bien qu’il soit soulagé que Guenhwyvar ait apparemment survécu, la présence de la figurine lui indiquait que Régis ne s’était probablement pas échappé vers le champ. Son cœur sombra. Et il sombra encore plus profondément quand un scintillement au fond de la même fissure attira son regard. Il y replongea sa main, en ressortant une chaîne en or avec un rubis en pendentif, et ses craintes furent confirmées.

— Une tombe digne de toi, brave petit ami, dit-il sombrement, et il décida à cet instant de nommer cet amas rocheux le Cairn de Régis. Il ne parvenait cependant pas à comprendre ce qui avait bien pu se produire pour séparer le halfelin de son collier, car il n’y avait ni sang ni quoi que ce soit d’autre sur la chaîne indiquant que Régis la portait au moment de sa mort.

— Guenhwyvar, appela-t-il. Viens à moi, mon ombre.

Il sentit les sensations familières au sein de la figurine comme il la posait sur le sol devant lui. Puis, la brume noire apparut et prit la forme de la grande panthère, indemne et quelque peu régénérée par les quelques heures qu’elle avait passées dans son propre plan d’existence.

Drizzt s’avança rapidement vers son compagnon félin, mais il s’arrêta comme une autre brume apparut non loin de là et commença à se solidifier.

Régis.

Le halfelin était assis, les yeux fermés et la bouche grande ouverte, comme s’il était sur le point de prendre une énorme et délicieuse bouchée d’une friandise invisible. Une de ses mains était en coupe sous ses mâchoires avides, et l’autre ouverte devant lui.

Comme sa bouche se refermait en claquant sur le vide de l’air, de surprise ses yeux s’ouvrirent d’un coup.

— Drizzt ! gémit-il. Vraiment, tu pourrais demander avant de me transférer ! Ce fauve proprement merveilleux m’avait attrapé le plus juteux des repas !

Drizzt secoua la tête et sourit avec un mélange de soulagement et d’incrédulité.

— Oh, splendide ! cria Régis. Tu as trouvé mon rubis. Je pensais que je l’avais perdu ; pour je ne sais quelle raison, il n’a pas fait le voyage avec le fauve et moi.

Drizzt lui rendit la pierre précieuse. La panthère pouvait donc emmener quelqu’un dans ses voyages au travers des plans ? Drizzt se résolut à explorer plus tard cette facette du pouvoir de Guenhwyvar.

Il caressa le cou de la panthère, avant de la libérer pour qu’elle puisse retourner dans son propre monde où elle pourrait récupérer pleinement.

— Viens, Régis, dit-il d’un air grave. Allons voir où nous pourrions prêter main-forte !

Régis haussa les épaules avec résignation et se leva pour suivre le drow. Quand ils atteignirent le somment des ruines et virent le carnage qui s’étendait devant eux, le halfelin se rendit compte de l’ampleur de la destruction. Ses jambes se dérobèrent presque sous lui, mais il parvint à effectuer la descente avec l’aide de son ami agile.

— Nous avons gagné ? demanda-t-il à Drizzt quand ils se rapprochèrent du niveau du champ, ne sachant pas très bien si les habitants des Dix-Cités considéraient ce qu’il voyait devant lui comme une victoire ou comme une défaite.

— Nous avons survécu, corrigea Drizzt.

Un cri jaillit brusquement quand un groupe de pêcheurs, apercevant les deux compagnons, se rua vers eux en hurlant à tue-tête.

— C’est le tueur-du-sorcier, le briseur-de-la-tour ! crièrent-ils.

Drizzt, toujours modeste, baissa les yeux.

— Vive Régis, continuèrent les hommes, le héros des Dix-Cités !

Drizzt adressa un regard surpris, mais amusé, vers son ami. Régis se contenta de hausser les épaules avec impuissance, se comportant comme s’il était autant victime de la méprise que Drizzt.

Les hommes se saisirent du halfelin et le soulevèrent sur leurs épaules.

— Nous allons te porter dans toute ta gloire à l’intérieur de la cité, là où se tient le conseil ! proclama l’un d’eux. Toi, plus que tout autre, tu devrais avoir ton mot à dire dans les décisions à prendre ! (Comme s’il venait d’avoir une pensée tardive, l’homme dit à Drizzt :) Tu peux venir aussi, le drow.

Drizzt déclina l’invitation.

— Que chacun acclame Régis, dit-il avec un large sourire sur le visage. Ah, petit ami, tu as toujours eu la chance de trouver de l’or dans la boue où les autres se vautrent !

Il donna une tape sur le dos du halfelin et s’écarta comme la procession se mettait en route.

Régis regarda derrière son épaule et roula des yeux comme s’il était entraîné dans l’expédition contre son gré.

Mais Drizzt savait ce qu’il en était.

 

***

 

L’amusement du drow fut de courte durée.

Avant même qu’il se soit éloigné, deux nains l’interpellèrent.

— C’est une bonne chose qu’on t’ait trouvé, notre ami l’drow, dit l’un d’entre eux.

Le drow sut immédiatement qu’ils étaient porteurs d’une sinistre nouvelle.

— Bruenor ? demanda-t-il.

Les nains acquiescèrent.

— Il est moribond, peut-être même déjà mort. Il a demandé à te voir.

Sans ajouter un mot, les nains entraînèrent Drizzt sur le champ, vers une petite tente qu’ils avaient installée près des sorties de leurs tunnels, et ils l’escortèrent à l’intérieur.

Dans la tente, des bougies scintillaient doucement. Derrière le lit de camp unique, contre le mur qui faisait face à l’entrée, se tenaient Wulfgar et Catti-Brie, leurs têtes respectueusement baissées.

Bruenor était étendu sur le lit de camp, la tête et la poitrine enveloppées dans des bandages maculés de sang. Sa respiration était faible et sifflante, comme si chaque inspiration devait être la dernière. Drizzt avança solennellement jusqu’à lui, résolu à retenir les larmes qui envahissaient ses yeux lavande. Bruenor préférerait qu’il soit fort.

— Est-ce que c’est… l’elfe ? haleta Bruenor quand il vit la forme noire au-dessus de lui.

— Je suis venu, meilleur de mes amis, répondit Drizzt.

— Pour me voir… m’en aller ?

Drizzt ne pouvait répondre honnêtement à une question si abrupte.

— T’en aller ? dit-il avec un rire forcé, la gorge serrée. Tu as subi bien pire ! Je ne veux pas entendre parler de décès – qui trouverait alors Castelmithral ?

— Ah, ma demeure… (Bruenor se rasséréna à l’énonciation de ce nom et sembla se détendre, comme s’il sentait que ses rêves le soutiendraient dans le sombre voyage qui l’attendait.) Tu vas v’nir avec moi, alors ?

— Bien sûr, approuva Drizzt. Il regarda Wulfgar et Catti-Brie à la recherche de leur soutien mais, perdus dans leur propre chagrin, ils l’évitaient toujours du regard.

— Mais pas maintenant, non, non, expliqua Bruenor. Ça s’rait pas possible avec l’hiver si proche ! (Il toussa.) Au printemps. Oui, au printemps !

Sa voix défaillit et ses yeux se fermèrent.

— Oui, mon ami, convint Drizzt. Au printemps. Je te verrai à l’intérieur de ta véritable demeure, au printemps !

Les yeux de Bruenor se rouvrirent d’un coup, une touche de leur ancien éclat dissipant leur voile vitreux. Un sourire satisfait s’étala sur le visage du nain, et Drizzt fut heureux d’avoir pu réconforter son ami mourant.

Le drow reposa les yeux sur Wulfgar et Catti-Brie qui souriaient eux aussi.

L’un à l’autre, remarqua Drizzt avec curiosité.

Brusquement, à la surprise horrifiée de Drizzt, Bruenor se rassit et arracha ses bandages.

— Voilà ! hurla-t-il à l’amusement général des occupants de la tente. Tu l’as dit, et j’ai des témoins de ta déclaration !

Drizzt, après s’être d’abord évanoui à cause du choc, regarda Wulfgar d’un air menaçant. Le barbare et Catti-Brie luttaient âprement pour maîtriser leurs rires.

Wulfgar haussa les épaules, et un gloussement lui échappa.

— Bruenor m’a dit qu’il me découperait en morceaux jusqu’à ce que je fasse la taille d’un nain si je disais le moindre mot !

— Et c’est ce qu’il aurait fait ! ajouta Catti-Brie.

Les deux compères se hâtèrent de sortir.

— Il y a un conseil à Bryn Shander, expliqua Wulfgar à la sauvette.

Une fois à l’extérieur de la tente, ils éclatèrent d’un rire qui passa inaperçu.

— Sois maudit, Bruenor Marteaudeguerre ! se renfrogna le drow.

Puis, incapable de s’en empêcher, il entoura de ses bras le nain taillé comme une barrique et le serra contre lui.

— Remets-toi, grogna Bruenor, acceptant l’étreinte. Mais dépêche-toi. Nous avons beaucoup d’travail à faire pendant l’hiver ! L’printemps s’ra là plus tôt que c’que tu crois, et au premier jour chaud nous partirons en quête de Castelmithral !

— Où que cela puisse être, dit Drizzt en riant, trop soulagé pour être fâché de la supercherie.

— On y arriv’ra, l’drow ! cria Bruenor. On y arrive toujours !

L'Éclat de Cristal
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